La thérapie: un sas de décompression
Dans une société d’évaluation permanente, où l’on pèse ses mots, où l’on régule ses émotions, où l’on tempère ses réactions, la thérapie est donc un sas de décompression: on y exprime ce qui pèse comme un fardeau.
DÉCRYPTAGE - Par-delà la technique adoptée par le thérapeute, la relation qu’il tisse avec son patient fait partie intégrante du soin et de la guérison.
Difficile de décrire le lien si particulier qui unit un patient à son psy. Véronique, qui consulte un thérapeute pour des crises d’angoisse depuis huit mois, s’y essaye: «Ce n’est pas mon confident, pas mon ami. Ce n’est pas un père de substitution bien qu’ils aient le même âge. Il n’y a pas de rapport hiérarchique entre nous: on ne se doit rien, on est quitte. Mais on n’est pas non plus à la même place. En fait, je ne trouve pas de mots pour le qualifier. Tout ce que je sais, c’est qu’il me fait du bien ou plutôt que je vais mieux.» Quelles que soient la difficulté rencontrée et la méthode utilisée, la relation qui se tisse au fil d’une thérapie participe en elle-même à soigner les blessures de l’âme. Plus que les outils utilisés? «À mon sens, aucun thérapeute n’intervient sans s’appuyer sur un certain cadre théorique et sans avoir une certaine stratégie thérapeutique ; et en même temps, aucune technique ne peut être mise en œuvre sans une certaine qualité humaine, d’ouverture, d’empathie, de compréhension et de tact», estime Edmond Marc, professeur émérite de psychologie et psychologue clinicien.
Neutralité et bienveillance, telles sont les deux vertus qu’on attribue traditionnellement à la posture du praticien. «Le thérapeute accueille la parole de son patient, sans jugement ni exigence, remarque Valentine Hervé, psychologue clinicienne. Dès lors, celui-ci peut tout dire, même ce qu’il jugeait lui-même indicible, honteux. La thérapie est un espace où chacun se sent reconnu avec ses forces et ses failles, dans toute sa singularité. Sa souffrance, même subjective, est prise en compte.»
La thérapie: un sas de décompression
Dans une société d’évaluation permanente, où l’on pèse ses mots, où l’on régule ses émotions, où l’on tempère ses réactions, la thérapie est donc un sas de décompression: on y exprime ce qui pèse comme un fardeau. «Cet apaisement est aussi favorisé par le cadre thérapeutique, poursuit Valentine Hervé. On peut toujours compter sur son psy, qui est fiable et ponctuel, qui ne parle pas de lui, dont l’humeur est constante, le cabinet toujours le même.» Un point d’appui dans un quotidien perpétuellement changeant. Auprès de qui ou dans quel autre contexte pourrait-on trouver tant de considération?
Ce lien privilégié est aussi marqué par le «transfert», qui n’est pas cantonné au champ de la psychanalyse mais est «un mécanisme psychologique fondamental à l’œuvre dans toute relation humaine», précise Edmond Marc. Sur un psy comme sur son conjoint, on «transfère» ses émotions, ses attentes, ses craintes, et bien souvent les sentiments que l’on éprouvait pour ses parents!
Sauf qu’en séance, le phénomène est travaillé pour avancer. «Le mécanisme du transfert permet la réactualisation dans le cadre thérapeutique du conflit névrotique et de ses origines relationnelles: le patient est amené par là à vivre au lieu de raconter, ce qui facilite la levée du refoulement et une prise de conscience beaucoup plus forte», explique Edmond Marc.
«La suggestion au cœur même de toute relation thérapeutique»
Autre bienfait tout droit issu du transfert, le «supposé savoir» que l’on prête au praticien. «Le patient pense que le psy possède les clés pour l’aider, qu’il va trouver la réponse à son problème et parvenir à soulager sa douleur», résume Valentine Hervé. Attentif et confiant, on est prompt à suivre ses conseils, bien plus que ceux d’un ami ou d’un amoureux dont l’avis sera davantage interrogé. «La suggestion est au cœur même de toute relation thérapeutique. Elle découle de l’attente du patient que le thérapeute le guérisse. C’est cette attente “magique” qui lie le patient au thérapeute et fonde sa suggestibilité», reprend Edmond Marc.
Le thérapeute a confiance dans la capacité de progression de son patient, qui en retour souhaite améliorer son rapport au monde et retrouver sa faculté d’agir Valentine Hervé,
Toute thérapie repose enfin sur une «alliance thérapeutique»: on avance non plus seul mais à deux vers un même objectif, qu’il soit clairement formulé (se libérer d’un TOC par exemple) ou plus implicite (retrouver confiance en soi). «Ce lien favorise le travail et l’engagement. Le thérapeute a confiance dans la capacité de progression de son patient, qui en retour souhaite améliorer son rapport au monde et retrouver sa faculté d’agir», ajoute Valentine Hervé. «Si lui croit en moi, alors je peux y croire aussi», témoigne encore Véronique.
C’est cette adéquation subtile qui s’avère progressivement thérapeutique. Le psychologue humaniste américain Carl Rogers, cité par Edmond Marc dans son livre Comment les psychothérapies nous aident à changer (Enrick B. Éditions), le formulait ainsi: «La rencontre chaleureuse, subjective et humaine de deux personnes est plus efficace pour amener un changement que ne peut l’être le système technique le plus perfectionné.»
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